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| FUTURE LETTRE N° 82 « LES ACCORDS A L’OMC ET LE PROJET D’ACCORD U.E-USA » Avec Pascal LAMY ANCIEN DIRECTEUR GENERAL DE L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE Le mercredi 12 mars, dans les salons du Palais du Luxembourg, Géostratégies 2000 a organisé un petit-déjeuner autour de l’ancien Directeur Général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), Pascal Lamy. Européen convaincu ; fin connaisseur des échanges internationaux et des nouveaux enjeux qui s’y rattachent, Pascal Lamy s’est félicité de la disparition progressive des droits de douane, tout en attirant notre attention sur les obstacles non tarifaires, politiquement très sensibles et qui se multiplient. Auteur de nombreux ouvrages, dont « The Geneva Consensus » et « Quand la France s’éveillera », il nous a également livré ses réflexions sur les grandes manœuvres en cours, entre les USA et l’Europe, d’une part, et les USA et les grands pays du Pacifique, de l’autre. L’ouverture des échanges au niveau mondial fait l’unanimité. Le consensus idéologique est complet, car cela dope à la fois la croissance et le développement. Il faut donc poursuivre les efforts de réduction des obstacles existants, lance d’emblée Pascal Lamy. Les barrières tarifaires, qui visent à protéger les producteurs nationaux de la concurrence étrangère, diminuent rapidement. En revanche, les barrières non tarifaires, comme les normes de qualité et de sécurité, les standards techniques, suivent une courbe ascendante. Leur but est de protéger le consommateur de tout risque. Elles reflètent les préoccupations sociales et sociétales. Le niveau de précaution est toujours corrélé au niveau de développement des pays, et comme le revenu par habitant augmente, notamment dans les pays émergents, les contrôles deviennent de plus en plus astringents. UNE NOUVELLE CONFIGURATION Deux facteurs expliquent la disparition progressive des barrières tarifaires, souligne Pascal Lamy. Il y a, d’une part, la régulation du commerce international, réalisée grâce aux grandes vagues de négociation de ces dernières décennies (Cancun, Doha) Le droit de douane moyen oscille entre 4 et 5%, bien loin des 40% des années 70. Toutefois, la régulation ne porte que sur les plafonds tarifaires. Celui de l’Inde est de 40 à 45, celui du Brésil, de 30 à 35 et celui de la Chine, de 10. Mais, ils reflètent assez peu la réalité, et ce qui compte, ce sont les tarifs effectivement appliqués. Par exemple, l’Inde n’impose l’acier qu’à 5%, car elle en a besoin pour son industrie automobile. L’évolution du mode d’organisation des biens et services constitue le second moteur. Désormais, on produit quelque part et on consomme ailleurs. Les progrès technologiques réduisent les coûts liés à la distance, cela saute aux yeux avec les technologies de l’information. En outre, le transport par mer devient de plus en plus efficace, grâce à la containerisation, qui représente 80% du commerce mondial en poids. Les processus de production se sont alignés sur la théorie. On assiste à une multi localisation progressive des chaînes de production pour les biens et les services. Les composants constituent plus des deux tiers du commerce mondial en volume, note Pascal Lamy, qui prend pour exemple l’Ipad. Celui-ci sort d’une usine chinoise, à Longhua, un « hub » de production qui emploie 150 000 personnes. Mais seule la coque en aluminium, qui entre pour 4 à 5% de la valeur ajoutée, y est fabriquée. Le design ainsi que certains composants (soit 20 à 25% de la valeur ajoutée totale) proviennent des États-Unis. De plus d'autres composants et les systèmes de connexion viennent encore d’ailleurs, notamment du Japon. Les nouvelles barrières tarifaires obéissent à une philosophie différente, on ne peut pas supprimer les systèmes de protection, ce serait un non sens. Néanmoins, il faut tenter de rapprocher la manière dont les normes sont établies par pays, car cela freine l’essor du commerce mondial. Il est nécessaire d’aboutir à une convergence entre les normes et la façon dont elles sont administrées, au niveau national. Lorsque les USA font payer 50 000 dollars un certificat de conformité pour les roses du Kenya cela revient à un droit de douane déguisé, s’insurge Pascal Lamy, qui plaide pour des négociations avec les instances de régulation, comme « Codex Alimentarius », une filiale de l’OMC et de la FAO. DES
HARMONISATIONS NECESSAIRES Parallèlement, des négociations ont démarré en juillet 2013, entre les USA et l’Europe, en vue d’un accord commercial transatlantique. L’objectif est d’ouvrir totalement les échanges, de rogner au maximum sur les 20% de droits de douane subsistant encore et sur les différences réglementaires, qui génèrent 80% des obstacles. Ces disparités sont très vastes, cela va de la taille des pare-chocs de voitures au taux d’hormones dans les viandes et à la protection des données. Ces harmonisations s’avèrent très délicates, c’est un sujet sensible politiquement et qui n’est pas anodin, loin des quotas des droits de douane. De plus, les acteurs ne sont pas les mêmes, ils sont très spécialisés et les entreprises interviennent beaucoup. Alors que le consommateur soutient la réduction des droits de douane, à l’encontre du producteur, le schéma est inverse pour la négociation de rapprochements de standards. Le producteur encourage cette tendance, car un standard unifié va lui apporter des économies d’échelle et lui permettre de réduire ses coûts. Chez les organisations de consommateur, au contraire, cela suscite le soupçon. Ces négociations aboutiront certainement à un alignement sur le standard de protection le plus exigeant, remarque Pascal Lamy, mais, en dépit de ces futures avancées techniques, le ressenti dans l’opinion publique risque d’être assez négatif. Les Etats-Unis sont également très impliqués dans une autre négociation régionale, la TPP (Trans Pacific Partnership), qui réunit notamment la Chine, le Japon, le Mexique et le Canada., l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Pérou et le Chili. Cette conférence cible les barrières non tarifaires, et souhaite élaborer de nouvelles règles applicables aux entreprises d’Etat, à la propriété intellectuelle, aux normes sanitaires. Stratégiquement, elle est capitale pour le Président Obama, qui veut éviter une marginalisation de son pays face à une intégration régionale menée par la Chine. Cependant,
ces négociations bilatérales ne doivent pas prendre le pas sur les
discussions multilatérales. L’OMC devrait avoir un vrai mandat de
monitoring pour tous ces standards, c’est indispensable, conclut
Pascal Lamy. L’intervention de Pascal Lamy a été suivie par un débat, animé par Raymond Douyère, et qui a donné lieu à des échanges variés et enrichissant. Francis Babé (Directeur des études – Association régionale des Auditeurs IHEDN) ; Paul Drezet (Conseiller référendaire à la Cour des Comptes) ; Jean-Claude Richard (Ancien Ambassadeur) : Il
y a certes des tarifs et des normes. Mais, qu’en est-il de la
régulation des différentiels sociaux et fiscaux ? Quid du
rapport de forces entre d’une part, l’OMC, et de l’autre, l’OIT
et les ONG ? Il
existe un consensus international à ce sujet. Il est généralement
admis que ces questions sont subsidiaires, car ce sont des affaires
intérieures. Par ailleurs, il y a des nuances à apporter. Sur le
plan de la concurrence, c’est le salaire minimal pondéré par la
productivité horaire qui compte. Cela permet une certaine
régulation, pour ce qui est des conditions sociales internationales.
Mais, cela se fait selon des standards minimaux, à l’Organisation
Mondiale du Travail, et non à l’OMC. Il est quasiment impossible
d’obtenir un accord sur un standard social, réunissant 200 pays.
Si cela est très lent et délicat au niveau multilatéral, il n’en
va pas de même pour les relations bilatérales. Là, un rapport de
force politique peut s’établir. Par exemple, l’Europe peut
accepter un accès préférentiel sur son marché pour certains pays
d’Afrique. En échange, ceux-ci doivent s’engager à respecter la
convention sur les espèces protégées. Jean-Louis
Pierrel (Chargé des relations universitaires IBM France- Secrétaire
Général Adjoint de Géostratégies 2000) :
L’Union Européenne, ou plutôt l’esprit très libéral de la
Commission, n’est-elle pas un peu naïve, notamment vis-à-vis des
USA, qui sont très protectionnistes au quotidien ? Le
marché européen est parfaitement protégé, pour tout ce qui est
standards sanitaires et de sécurité. Il n’y a pas de naïveté de
la part de l’Europe, sa politique commerciale fonctionne très
bien, elle a multiplié par trois le solde de ses échanges
industriels, avec des conditions d’accès à son marché égales
pour tous. Michel
Troiekouroff (Juriste-Agirc) :
Les obstacles non tarifaires ne sont-ils pas utilisés comme
représailles (USA et roquefort) plutôt que comme précaution ? Il
peut y avoir des zones grises. La norme peut être édictée à cause
d’intérêts protectionnistes, mais cela se produit de moins en
moins. On tend vers une égalité pour tous les pays. Philippe
Geslin (Vice Président Union Financière de France) :
Quelles ont été les contreparties demandées à la Chine, lors de
son entrée dans l’OMC ? Quel est le bilan de cette adhésion
pour les pays développés, et notamment la France ? La
Chine a rejoint l’OMC en 2001 et a payé très cher son ticket
d’entrée. Elle avait besoin d’une assurance anti
protectionniste, en échange, elle a accepté les contraintes
internationales. La régulation de la Chine ne se décide plus au
sein du Parti, mais ailleurs, dans le cadre de l’OMC. La Chine a
accepté de « franchir le
Rubicon »,
car cela était essentiel pour son avenir. Le régime qui lui est
appliqué, est à mi chemin entre celui des pays développés et
celui des BRICS. Le plafond chinois est établi à 10%, deux à trois
fois supérieur à ce qu’ils espéraient. Ils ont aussi dû ouvrir
leurs services. L’idée répandue à Paris, comme quoi la Chine est
devenue un nouveau membre de l’OMC sans contrepartie, est
totalement fausse. Vice-Amiral (2s) Jean-Louis Vichot (Délégué Général de l’UDESCA) : Que penser des négociations sur le Trans Pacific Partnership et des réactions, en particulier, des pays de l’ASEAN ? Cette
négociation est née sous la présidence Bush fils. L’idée était
de préparer un pivot asiatique, de renforcer la présence
américaine, et en quelque sorte, d’encercler la Chine. Jean-Pierre
Duport (Ancien Préfet de la région Ile de France) :
Quelle est la place consacrée à l’exception culturelle dans les
négociations transatlantiques ? C’est
une spécificité européenne qui est reconnue. Elle n’est pas
soumise aux mêmes règles d’efficience que les produits standards.
Ce problème est réglé avec les USA, les industries culturelles
européennes sont très bien protégées, et peuvent être
subventionnées. Raymond
Douyère (Président de Géostratégies 2000) :
L’OMC est-elle concernée par les tensions sur le gaz entre la
Russie et l’Ukraine ? L’Ukraine
fait partie des mauvais élèves au sein de l’OMC, au même titre
que l’Argentine ou l’Equateur. L’OMC traite de
multilatéralisme, rien n’est donc inscrit concernant le prix du
gaz entre la Russie et l’Ukraine. De plus, en général, il n’y a
aucun droit de douane sur l’énergie. L’OMC
n’est pas concernée par les échanges de personnes. Le seul cas où
elle a un droit de regard, c’est lorsqu’une entreprise installe
une filiale à l’étranger et y déploie du personnel, pour la
mettre en service et former des employés locaux. Et cela, pour une
durée déterminée. François-Xavier
Martin (Président d’Honneur de Crédit X Mines. Secrétaire
Général, Trésorier de Géostratégies 2000) :
Les pays qui ont les systèmes d’éducation préparant le mieux à
l’innovation sont ceux qui ont le déficit commercial le plus
important (Etats-Unis, Royaume Uni). Comment expliquez-vous ce
paradoxe ? La
notion de déficit est très floue. Désormais, on mesure le commerce
international en valeur ajoutée et non plus en volume. Les
comparaisons entre les volumes du commerce international et le PNB ne
sont plus pertinentes, à cause du processus de multi localisation.
En volume, le commerce international représente 60% de biens et 40%
de services. En valeur ajoutée, c’est l’exact contraire. Le
déficit commercial des Etats-Unis vers la Chine fond de 40%, si on
le mesure en valeur ajoutée, et sur le plan économique, c’est ce
qui compte. Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Votre opinion sur la compétitivité de la France ? Le déclin est évident depuis douze ans. Cela prendra au moins cinq ans pour y remédier, mais il ne faut plus attendre, il faut s’attaquer immédiatement à ce dossier épineux. Il faut transformer le regard décalé des Français, porteurs d’une vision extrêmement pessimiste. Il faut tenter de les réconcilier avec le monde dans lequel ils vivent. Il est vital de revenir à une ambition mondiale pour la France. Marie-Clotilde
Hingray |
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