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| FUTURE LETTRE N° 82 DESARMEMENT ET SECURITE DANS LE MONDE avec PAUL QUILES, ANCIEN MINISTRE DE LA DEFENSE Le mercredi 29
janvier, Géostratégies 2000 a organisé dans les salons du Palais
du Luxembourg, un petit-déjeuner autour de Paul Quilès, ancien
Ministre de la Défense de François Mitterrand (Septembre 1985 / Mars
1986), venu nous convaincre de la réalité des multiples dangers de
l’arme nucléaire. Un sujet sensible, au cœur de son dernier
ouvrage « Arrêtez la bombe !», paru en 2013. Après
avoir brossé un panorama historique détaillé, il s’est posé en
défenseur crédible de l’arrêt de la dissuasion nucléaire. Un
angle peu habituel, mais qui a permis d’aborder la question de
manière contradictoire. Mes premiers contacts
avec l’arme nucléaire ont été quelque peu irréels. Jeune
polytechnicien, c’est moi qui ai passé, en 1964, l’ordre de
transmission de sa mise en œuvre, avec au bout du fil, le Général
de Gaulle en personne, raconte sur le ton de l’anecdote Paul
Quilès. Mais c’est seulement vingt ans plus tard, en devenant
Ministre de la Défense, en 1985, que j’ai appris à comprendre le
système décisionnel. Le contexte était compliqué, Charles Hernu
avait dû démissionner après le scandale du Rainbow Warrior, mais
je me suis vite rendu compte du fonctionnement monarchique de cette
institution, où tout remonte au Président de la République.
Malheureusement, cette expérience fut très courte, puisque six mois
plus tard, le Parti Socialiste perdait les élections. En décembre
1995, après la reprise des essais nucléaires décidée par le
Président Chirac, un débat, assez violent, a eu lieu à l’Assemblée
Nationale Je me suis alors clairement prononcé pour un monde
débarrassé des armes nucléaires, souligne Paul Quilès qui devient
en 1997 Président de la Commission de la Défense au Palais
Bourbon., et s’engage, dès lors, à porter une parole
« pacifiste ». Un mot teinté parfois d’une connotation
négative, qui s’explique par la confusion sur les objectifs des
mouvements pacifistes des années 50-70, avec notamment, l’Appel de
Stockholm, qui passait sous silence la course aux armements
soviétiques, mais critiquait fortement celle des Américains. UN DELIRE CONCEPTUEL Le désarmement et la sécurité sont-ils des concepts contradictoires, s’interroge Paul Quilès. Il est normal que tout Etat ait le souci de se protéger, avec des moyens matériels, ou avec la négociation pour empêcher une guerre. Mais, l’arme nucléaire est-elle indispensable ? Il existe un consensus français autour de cette bombe, décrite comme notre assurance vie et notre garantie d’indépendance. Autre argument de taille, elle a mis fin à la seconde guerre mondiale. Or, conteste Paul Quilès, rien n’est plus faux. L’empereur Hirohito était prêt à capituler, depuis les bombardements de Tokyo, qui avaient fait des dégâts irrémédiables. Au Japon, Hiroshima et Nagasaki n’ont pas été considérés comme plus graves. Alors que cette arme n’est plus adaptée à notre époque, surtout depuis la fin de la Guerre Froide, le débat sur la dissuasion reste tabou, regrette Paul Quilès. Désarmement ne rime pas encore avec sécurité, et les références historiques ne plaident pas en faveur d’une telle évolution. Le Mouvement Socialiste International n’a pas réussi à s’opposer aux enchaînements qui ont provoqué le conflit de 39-45. Et pourtant, Jean Jaurès, assassiné pour ses idées pacifistes en juillet 1914, était un véritable patriote, auteur de l’ »Armée nouvelle ». Un livre où il démontrait comment on pouvait défendre son pays, tout en œuvrant en faveur des arbitrages internationaux. C’est un scénario radicalement différent qui s’impose dès 1945, une véritable « course à la folie », dénonce Paul Quilès. Après leur premier essai nucléaire au Nouveau-Mexique, les Américains veulent vérifier dans les faits l’effet effrayant de cette bombe, ce sera Hiroshima et Nagasaki. En 1949, les premiers essais de l’URSS ont lieu, avec très vite, une bombe de 50 mégatonnes, soit 23 fois le total des bombes lâchées sur l’Allemagne, entre 1942 et 45. En 1952, la Grande-Bretagne se dote de l’arme nucléaire, puis la France en 1960 et la Chine en 1964..Les armes doivent être toujours plus nombreuses, plus sophistiquées, avec une portée de plus en plus grande. C’est la destruction mutuelle assurée, un délire. Pour soutenir cette stratégie, les doctrines se succèdent. Ce serait une arme de non emploi, créée pour effrayer. Arrive ensuite la doctrine de dissuasion, avec ses ambiguïtés et ses contradictions. Elle sera tour à tour minimale, flexible, concertée, étendue, avant d’aboutir à la riposte graduée. En 1986, revirement. Le
Président Reagan déclare qu’il va libérer le monde des armes
nucléaires. Pour protéger les Etats-Unis, il veut déployer un
bouclier anti missiles, des centaines de satellites dans l’espace.
Mais, très vite, ce projet est abandonné, à cause des coûts
exorbitants (plus de 1000 milliards de dollars) et des difficultés,
voire de l’infaisabilité de sa mise en œuvre. Et pourtant,
s’insurge Paul Quilès, une nouvelle proposition de bouclier anti
missiles vient d’être lancée par l’OTAN. La dangereuse
influence du complexe militaro-industriel joue un rôle clé. Il y a
une grande manipulation pour obtenir toujours plus de contrats. UNE CERTAINE PRISE DE
CONSCIENCE La fin de la course aux armements a commencé au début des années 1990. On a assisté à un gel des stocks nucléaires des pays issus de l’ex URSS. L’Afrique du Sud a détruit ce qu’elle possédait et des discussions bilatérales ont démarré entre la Russie et les Etats-Unis, qui ont réduit le nombre de leurs ogives. La France, pour sa part, en a 300 (contre 580 au milieu des années 80). En 2009, dans son discours de Prague, le Président Obama a évoqué un monde sans nucléaire et en 2010, le Traité New Start a été signé. Les deux grandes puissances acceptent de réduire à 1550 le nombre de leurs ogives, soit une réduction de 30%. Toutefois, il semblerait qu’elles continuent à moderniser et investir dans leur armement nucléaire existant, nuance Paul Quilès qui ne cache pas sa préférence envers les zones exemptes d’armes nucléaires dans le monde. Il en existe déjà six et en 2012, une Conférence internationale devait s’ouvrir pour en créer une nouvelle au Moyen Orient. Toutefois, en raison du trop grand climat d’instabilité, elle a été repoussée. Le désarmement est
indispensable, conclut Paul Quilès. Bien sûr, pour être efficace,
il doit être général, complet et encadré par l’ONU et le
Conseil de Sécurité. Les Etats doivent être soumis à des
procédures contraignantes, sans préavis de contrôle. Le lien entre
la possession de l’arme nucléaire et le statut de grande puissance
ne serait plus aussi direct .Par conséquent, certains pays seraient
moins incités à s’en équiper. L’intervention de Paul
Quilès a été suivie d’un débat, animé comme à l’accoutumée
par Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000, et qui a
donné lieu à des échanges passionnés. Thierry Leroy
(Conseiller d’Etat) : Je suis d’accord avec vous
pour dénoncer le tabou du débat sur l’arme nucléaire. Mais, sur
le plan symbolique, cela ne créerait-il pas un vide ? Notamment
pour tout ce qui concerne l’image de la France dans le monde ? César Platt
(Professeur de sciences économiques. Lycée Claude Monet Paris) :
Est-il possible de développer en France comme ailleurs, le nucléaire
civil, sans risquer de voir le nucléaire militaire se développer
également ? ????
Est-ce une arme d’emploi ou de non emploi ? La théorie de l’emploi
est nécessaire pour que la doctrine soit crédible. D’ailleurs,
nous avons développé un armement tactique, qui a équipé nos
avions (dès 1964), nos sous-marins (avec une portée de 4000 kms,
avec prévision à 8000 kms). Et aussi l’armée de terre avec le
Pluton et Hadès. Mais, celui-ci ne tirait pas assez loin. En
territoire « ennemi », seule l’Allemagne de l’Est
pouvait être touchée. Donc, cela a été arrête, la stratégie a
été jugée inappropriée. François-Xavier
Martin (Président d’honneur de Crédit X Mines, Secrétaire
Général, Trésorier de Géostratégies 2000) : Sans
la dissuasion nucléaire américaine, Staline aurait-il envahi
l’Europe Occidentale après 1945 ? Je ne le pense pas.
L’Europe n’était pas sa priorité. De plus, lorsqu’il est mort
en 1953, l’armement nucléaire n’en était encore qu’à ses
débuts. Général Pierre
Warmé (Conférencier) : Vous confondez dissuasion et
représailles. Dissuader, c’est empêcher de réaliser une menace. Avec l’armement nucléaire, l’adversaire potentiel est exposé à des dommages considérables. Actuellement, l’OTAN
dispose de 180 bombes nucléaires tactiques, déployées dans cinq
pays, dont la Turquie. Cela coûte très cher. Les Russes semblent
prêts à retirer leurs bombes, une fois que l’OTAN aura enclenché
le processus. C’est une opportunité à saisir, les négociations
vers le désarmement passent par des gestes symboliques Les négociations
enclenchées avec la Syrie, après les bombardements chimiques,
prouvent qu’un désarmement chimique est possible. C’est une
belle avancée, si l’on pense qu’une intervention militaire avait
failli aboutir pendant l’été 2013. La catastrophe a été évitée
de justesse. Il y a une manipulation de l’opinion publique française pour accepter cette thèse de consensus national autour de la dissuasion nucléaire. Les enquêtes d’opinion, sur ce sujet, ont une validité douteuse, puisqu’il n’y a ni information préalable, ni débat contradictoire. Marie-Clotilde
Hingray |
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