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Raymond Forni

" Les valeurs de la République :
comment les protéger ? Comment les transmettre ?"

 

Le 28 février dernier, Géostratégies 2000 a reçu, en présence de plusieurs personnalités, un ardent défenseur des valeurs de la République, le Président de l’Assemblée Nationale, Raymond Forni. Cet avocat, député du Territoire de Belfort a démontré avec passion qu’il fallait non seulement protéger et transmettre ces valeurs, mais également les faire vivre au quotidien, et prouver qu’elles constituent le fondement même de notre démocratie.

 

 

Je suis un enfant de la République et j’en éprouve une grande fierté ", affirme d’entrée de jeu Raymond Forni. J’ai le devoir de léguer cet héritage, mais mon rôle ne s’arrête pas là. Car, ces valeurs de la République bougent et changent dans un environnement qui évolue et dans un monde en pleine mutation. Il ne suffit pas de les protéger et de les transmettre ; elles appartiennent à une richesse que nous devons faire vivre au quotidien.

La République, c’est l’avènement d’un peuple qui affirme, dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, qu’il veut se gouverner lui-même, selon les principes d’égalité et de liberté. C’est aussi une force d’attraction universelle et exceptionnelle, un asile pour ceux qui fuient les persécutions et rêvent d’un avenir meilleur pour leurs enfants. Cet héritage existe et crée notre unité. Mais, il ne faut pas se contenter d’entretenir les valeurs de notre histoire, il faut les rendre actuelles. Il faut, par exemple, persuader les jeunes que les valeurs de liberté et d’égalité sont dignes de sens, qu’elles ne sont pas seulement des décors de carton pâte. Les convaincre que la corruption, la délinquance financière, les privilèges, les passe-droits constituent de graves atteintes aux valeurs de la République. Il est indispensable que l’Assemblée poursuive son travail d’investigation sur le blanchiment de l’argent. Les discriminations à l’emploi et au logement, dont sont victimes les jeunes qui portent un nom à consonance étrangère, sont des atteintes inacceptables au pacte républicain. Les inégalités entre hommes et femmes, dans le monde du travail et dans la vie politique, sont également intolérables, même si, depuis quatre ans, des améliorations se dessinent, avec notamment le vote de la loi sur la parité.

 

Une République une et multiple

Il faut faire triompher l’universalisme républicain. En laissant les " citoyennes " à l’écart de la République, la moitié de la population française était marginalisée. La situation en Corse illustre bien ce débat sur l’abstraction citoyenne. L’Etat, dans ce qu’il représente, n’a pas rempli toutes ses obligations, il y a eu des déviances graves. La République ne s’identifie pas automatiquement au centralisme jacobin. Les lois de décentralisation ont montré qu’il n’était pas le seul fondement de notre République. Celle-ci doit ouvrir les yeux vers la société réelle, adapter certaines dispositions législatives avec le caractère insulaire de la Corse, comme cela se pratique en Sicile, en Sardaigne, en Ecosse…La République doit se vivre une aussi bien une que multiple. On ne peut faire l’impasse sur la richesse de nos différences. Elles font de la France une République ouverte sur la mondialisation (avec la construction européenne, l’élargissement aux Pays de l’Est), sans rien perdre de l’idée de Nation. Toutefois, une certaine vigilance s’impose, car désormais 60% de notre législation est d’origine communautaire. Il ne faut pas sous-estimer le risque de dilution.

C’est en assouplissant le carcan du centralisme jacobin que nous aurons véritablement une République vivante, et c’est là, l’un des grands enjeux des prochaines élections.

 

Le débat, animé par Serge Rechter, a permis à Raymond Forni de dialoguer franchement et sans détour avec les membres de notre club.

Général François Bresson (Conseiller Maître – Cour des Comptes) : Quelle importance attachez-vous à la vie familiale pour transmettre les valeurs de la République ?

Elle est primordiale. La famille constitue le premier cercle social. Toutefois, la situation actuelle ne facilite pas l’intervention des familles. Le système

 

 

 

éducatif a également un grand rôle à jouer. Je regrette que l’enseignement ne prenne pas plus en compte l’instruction civique. Par ailleurs, la fin de la conscription a sonné le glas d’une certaine forme de transmission de ces valeurs. Il faut trouver un substitut.

Général Henri Paris (Président de Démocraties) : La limitation du cumul des mandats est-elle une atteinte à la liberté ?

L’homme politique pense que s’il ne détient pas assez de mandats, il s’affaiblit. Personnellement, je suis favorable à un cumul limité des mandats. Ce cumul est une tradition française. Dans notre système, ne pas avoir d’attache avec la région que l’on représente, constitue un réel handicap. Le mandat local est important. Si nous n’avions qu’un mandat national, une concurrence permanente se développerait à l’intérieur des partis, qui serait néfaste à la démocratie elle-même.

Général Raymond Germanos (Inspecteur Général des Armées) : En ce début de XXIème siècle, l’intégration semble plus délicate qu’auparavant. Surtout pour la population musulmane. Comment y remédier ?

Désormais, il faut intégrer des populations aux cultures et aux religions différentes. C’est beaucoup plus compliqué. Il y a des lieux d’intégration à privilégier, comme l ‘école, les collectivités locales (on trouve de plus en plus d’hommes et de femmes d’origine maghrébine dans la gestion des communes et sur les listes électorales), et les associations.

M. Jacques Boileau (Ingénieur Général des Armées – Expert Scientifique – DGA/SREA) : L’Assemblée Nationale ne devrait-elle pas remettre un peu d’ordre et de cohérence dans le maquis des lois, chargées d’encadrer la vie du citoyen ?

La complexité de la loi est une idée reçue. Toutefois, j’admets qu’un citoyen puisse être un peu perdu face à une multitude de textes législatifs, auxquels viennent s’ajouter des règles communautaires et des décisions prises au niveau ministériel. Nous avons sans doute trop tendance à vouloir intégrer dans un texte de loi toutes les hypothèses, à vouloir tenir compte des

 

 

 

préoccupations des uns et des autres (Sénat, Assemblée…). Mais, la politique, n’est-ce pas aussi l’art du compromis ?

Christian Decharrière (Directeur Central de la Sécurité Publique. Ministère de l’Intérieur) : La France est une République une et multiple. Peut-il y avoir, en Corse, une citoyenneté locale, étatique, européenne ? Comment trouver le bon équilibre ?

La situation s’est dégradée en Corse depuis vingt cinq ans, parce que l’Etat n’a pas accompli sa tâche pour préserver l’unité nationale (guerres entre services de police et de gendarmerie, isolement de certains responsables d’administrations…). Il y a eu une défaillance évidente de la justice, l’activité criminelle a dérapé. Mais, tout ceci n’exonère pas la responsabilité des Corses eux-mêmes. Dans leur immense majorité, ils ne veulent pas sortir de la République, mais est-ce incompatible avec la notion de peuple corse ? Il y a un peuple corse, soudé par une même histoire, qui a le sentiment d’appartenir à une même communauté locale, de partager les mêmes repères d’insulaires. Mais, ils appartiennent tous à la même Nation et il n’y a donc pas de citoyens corses.

Paul Drezet (Conseiller référendaire – Cour des Comptes) : Quelle responsabilité porte la sphère politique dans le développement du laxisme ? Pourquoi ne s’interroge - t-elle pas plus sur le fonctionnement de l’école, de la justice et des grandes institutions ?

La République est fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs. En ce moment, on assiste à des tentatives d’empiètement, ce qui est dangereux pour la démocratie. Les hommes politiques se tiennent aujourd’hui sur la défensive. Ils doivent sans cesse répondre aux attaques, se justifier, alors qu’ils devraient passer leur temps à se faire les messagers des valeurs républicaines. Ils seraient beaucoup plus crédibles ainsi. Je ne crois pas que la démocratie traverse une crise, il y a simplement des hauts et des bas. Il y a , c’est vrai, une dérive contre laquelle il faut lutter collectivement. C’est l’abstention de plus en plus grande lors des scrutins électoraux.

Jean Donnedieu de Vabres (Ancien Secrétaire Général du Gouvernement) : Je tenais simplement à faire une remarque sur la question de la séparation des pouvoirs. Le Conseil d’Etat a tout à fait le droit de donner des avis au gouvernement, mais ils doivent rester confidentiels. Ce sont les indiscrétions qui politisent le débat.

Il y a eu ces derniers temps une convergence de plusieurs critiques à l’égard du législateur, qui m’inquiètent. L’appareil judiciaire, le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel sont sortis de leur mission première, en critiquant le travail du législateur. Le Conseil d’Etat peut et doit donner son avis, alerter le gouvernement sur des risques, mais dans le cadre du secret. Le Conseil Constitutionnel, pour ce qui le concerne, n’a à juger du travail parlementaire que lorsqu’il en est saisi quant à la validité ou non, des textes votés au seul regard de la Constitutionw

Propos non revus par les intervenants

Marie-Clotilde Hingray

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