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Vice-Amiral d’Escadre Jacques Celerier

" La politique de dÉfense de la France, entre professionnalisation,

Europe de la défense et arme nucléaire "

 

Le vendredi 19 janvier, Géostratégies 2000 a reçu le Vice-Amiral d’Escadre Jacques Celerier, directeur de l’IHEDN depuis juillet 1999. Devant une assistance nombreuse et avertie, il a fait le point sur les trois grands sujets qui dominent actuellement la politique de défense de la France : la professionnalisation, la stratégie européenne et l’arme nucléaire.

 

 

 

La professionnalisation, décidée en 1996 par le gouvernement de Jacques Chirac, s’est déroulée sans incidents majeurs. L’essentiel du chemin a été parcouru dans des conditions satisfaisantes, en dépit de " surchauffes conjoncturelles " inattendues et liées aux crises violentes qui ont secoué le continent européen ces dernières années, déclare d’entrée de jeu le Vice-Amiral Jacques Celerier. La disparition des appelés a été compensée par trois mesures : la réduction du format des armées, un plus grand appel à des engagés volontaires et à du personnel civil. Dans ce dernier cas, des déficits demeurent. La mobilité inter- armées et inter-services n’a pas fonctionné comme prévu. Et pour combler ces lacunes, l’Armée envisage un plus grand recours à l’externalisation des fonctions.

 

La professionnalisation à l’épreuve des faits

Les Armées ont pu relever le défi, car elles ont disposé du temps qui leur était nécessaire. La conscription ne s’est pas arrêtée avant la date fixée. Le pouvoir politique a maintenu le cap. Notre jeunesse a prouvé son sens civique, en continuant à venir faire son service.

Désormais, nous devons nous attacher à faire vivre notre Armée dans ce nouveau format. Pourrons-nous recruter les 13 à 15 000 militaires, dont nous aurons besoin chaque année ? C’est un exercice difficile, car nous il nous faut en permanence des jeunes. Ce qui suppose un turn-over important, des contrats à durée limitée, entraînant une certaine précarité de l’emploi. Pour compenser ce problème, l’Armée met en place des mesures d’accompagnement, tout un dispositif de reconversion vers la vie civile. Mais cela suffira-t-il ? Ne faudra-t-il pas aussi rendre les rémunérations plus attractives ? Par ailleurs, les " nouveaux " militaires ne rempliront pas toutes les tâches qui étaient exécutées par les appelés et leur polyvalence sera moindre…

Ce nouveau contexte nous oblige à porter une attention toute particulière au lien " Armée-Nation ", constate le Vice-Amiral Celerier. Il faut le maintenir, voire le renforcer, car nos concitoyens risquent de se désintéresser de tout ce qui touche à la Défense. Le pouvoir politique a pris en compte cette préoccupation, l’Education nationale va dispenser un enseignement sur la défense, dans le cadre de l’instruction civique.

 

Construire l’Europe de la Défense

Parallèlement, la France entend jouer un rôle moteur et dynamique dans l’Europe de la Défense. Elle participe activement à la mise en place de ses structures et de ses organismes. Reste le volet financier. Pour être crédibles, les Quinze devront accepter de régler leur contribution. Un vrai test qui démontrera –ou non- leur volonté de bâtir quelque chose ensemble.

Il faut aussi régler le problème des relations avec les pays tiers, ceux qui appartiennent à l’OTAN (comme la Turquie) ou qui n’ont noué aucune alliance. Ces pays sont d’accord pour mettre à la disposition de l’Union Européenne leurs moyens militaires, en cas de crise. C’est un signe encourageant. Il faut étudier des dispositifs pour les associer aux discussions, puis à la conduite des opérations. Comment permettre l’association dans la transparence sans rogner sur les prérogatives de l’Union Européenne ? Tel est le point crucial qu’il faut s’efforcer de résoudre et qui vaut également pour les rapports avec l’OTAN.

 

 

Enfin, les industries d’armement sont loin d’avoir terminé leur restructuration. Un grand pas a été accompli avec la constitution d’EADS, puis de Thales. Mais, tout reste à faire dans le domaine de la construction navale et des armements terrestres.

 

Quelle doctrine nucléaire ?

Dernier axe, l’arme nucléaire. La France poursuivra sa stratégie de dissuasion, affirme le Vice-Amiral Celerier, car " on ne désinventera pas l’atome ". Elle doit garder sa capacité de dissuasion face aux menaces existantes, à un niveau quantitatif plus faible, mais qualitatif très élevé. C’est là l’enjeu fondamental. Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer la prolifération des menaces, émanant de pays où la prise de décision relève de l’irrationnel et où l’opinion publique ne joue pas le même rôle que dans nos démocraties. Il nous faut adapter nos concepts. On peut même se demander s’il est encore opportun d’afficher une doctrine, ou s’il ne vaudrait pas mieux rester dans le flou, conclut le Vice-Amiral Celerier.

La rencontre s’est poursuivie par un débat approfondi, animé par Serge Rechter.

Paul Drezet (Conseiller Référendaire à la Cour des Comptes) : Le reformatage des Armées est pratiquement terminé. Que va-t-il se passer maintenant au niveau budgétaire ?

La réponse est délicate. On ne peut donner de chiffres précis, car les décisions budgétaires relèvent de choix politiques. La France a montré qu’elle était disposée à fournir des efforts dans le renseignement spatial et le transport à long rayon d’action (A 400 M), mais il est très difficile de bâtir des hypothèses en fonction des disponibilités financières. La loi de programmation militaire 2003-2008 devrait être votée au printemps prochain. Le gouvernement a déjà donné des enveloppes globales. Le ministère de la Défense étudie comment les répartir. On ne raisonne pas en fonction de nos besoins, mais en fonction de l’argent que la Nation accepte de nous donner.

François Poirier (Directeur des achats de programme. France 2) : Les projets américains de défense anti-missiles, avec le NMD, ne risquent-ils pas de relancer la course aux armements ?

 

 

Oui, indubitablement. Si les Russes peuvent admettre que cela ne mettra pas en péril leur capacité nucléaire, cela constitue en revanche un problème majeur pour la Chine. Cela la pousse à multiplier ses vecteurs. En ce moment, elle investit beaucoup dans le nucléaire. N’oublions pas la prolifération nucléaire qui va disséminer la problématique dans toute la planète. C’est une question globale, qui concerne tous les acteurs internationaux .

Général Bertrand de Lapresle (Gouverneur des Invalides) : Notre politique de défense doit susciter des réponses positives au problème des recrutements. Ceux-ci sont très spécifiques. En entrant dans l’Armée, les jeunes sont prêts à sacrifier leur vie. Nous parlons trop des moyens de la Défense, pas assez de ses valeurs, de ses objectifs. Il faut un élément mobilisateur axé sur les valeurs citoyennes, sur le lien " armée-nation ", " société civile-défense ". Sur ce plan, la réflexion nationale n’est pas assez poussée.

Je n’ai rien à ajouter. Je partage entièrement votre point de vue, observe le Vice-Amiral Célérier. Sur ce point, Serge Rechter précise que l’intervention du Général de Lapresle est capitale et qu’il conviendrait que Géostratégies 2000 soit le lieu d’un débat approfondi, sur ces thèmes, autour du Général de Lapresle.*

Colonel Manfred Rosenberg (Secrétariat EFADS) : Il nous manque actuellement une culture européenne de sécurité. Les Français et les Allemands ont amorcé le débat en décidant la création d’un collège franco-allemand de sécurité européenne, auquel pourront se joindre d’autres partenaires. L’IHEDN est-il associé à ces réflexions ?

Pas pour le moment. Le collège dont vous parlez s’inscrit dans une logique de formation professionnelle. Or, l’IHEDN ne s’adresse pas à des professionnels de la défense. Faudrait-il mettre sur les rails un IHEDN au niveau européen ? Ou ne vaudrait-il pas mieux définir d’abord une conception commune de la culture de défense européenne ? Il existe actuellement de grandes divergences sur ce sujet. Par ailleurs, il existe déjà le Collège de Défense de l’OTAN.

* Ce débat a été fixé au 22 mai 2001.

 

 

 

Serge Rechter observe que ce qui a été accompli en Bosnie et au Kosovo a davantage fait progresser l’Europe de la Défense que le " conceptuel " au sens strict et le Général de Lapresle remarque également que l’opération " Alba ", montée entre Européens, sous l’égide de l’Italie, au moment de la guerre civile en Albanie, fournit un exemple concret

de réflexion commune pour préserver des intérêts communs, qui a abouti à un engagement européen (Grande-Bretagne exceptée) .

Laurent Jacquet (Rédacteur en Chef Le MOCI) : Techniquement et sur le plan des valeurs, la formation des officiers est-elle adaptée pour relever les défis du troisième millénaire ?

C’est un sujet gigantesque. Un jugement global sur les écoles d’officiers serait dangereux, car elles

 

dispensent des spécialités très différentes. Ces dernières années, l’acquis technique avait tendance
à l’emporter sur l’aspect " métier ". Il faut s’interroger davantage sur la formation au commandement. Les réformes en cours, au niveau des recrutements, vont dans le sens d’une plus grande ouverture, et c’est très bien. Nous avons besoin de jeunes, ouverts et formés, capables de s’adapter en toutes circonstances et de maîtriser des techniques de plus en plus sophistiquées
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Propos non revus par les intervenants

Marie-Clotilde Hingray

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