L’oubli et la mémoire
par Serge Rechter
Après l’Histoire, il n’y a pas la fin de l’Histoire. Il y a pire. Il y a l’oubli. A dire le vrai, il existe deux sortes d’oubli : l’oubli-usure : les choses s’estompent, s’atténuent, se mêlent, se confondent en un salmigondis, d’ailleurs lacunaire, d’événements historiques.
Je relisais, il y a peu, le Lavisse à l’usage des enfants de l’Ecole communale des années trente. Tout est en place : Azincourt, Jeanne d’Arc, la Saint-Barthélemy, la prise de la Bastille, Robespierre, Bonaparte, la guerre de 1914/1918, etc. Mais, tout ceci est à des années-lumière de ce qui est transmis aujourd’hui à nos enfants et petits-enfants. Pour eux, tout est entré dans la pénombre et se confond en un théâtre d’ombres, sans acteurs, sans action, sans spectateurs, dépourvu de tout sens. C’est le rôle de l’éducation et des professeurs d’histoire que de faire revivre les événements de l’histoire, de les expliquer, de les relativiser et de montrer que chacun d’eux nous a fait ce que nous sommes et nous indique le chemin où nous pouvons aller et celui où il ne faut pas aller.
Mais, il a y un autre oubli, terrible celui-là, c’est l’oubli-rejet. Une génération, d’un coup, se lève et nous dit tranquillement : assez parlé de Vichy, de Pétain, de la collaboration, de la Résistance, de de Gaulle, de la Shoah, de Papon, de l’Algérie, etc. C’est un rejet terrible, car la frontière entre l’oubli-rejet et l’oubli-amnésie, entre l’oubli-amnésie et l’oubli-amnistie, entre l’oubli-amnistie et le négationnisme, est très ténue. N’allons pas dans cette voie de la négation de toute distinction entre ce qui a été bien et ce qui a été mal, même si cette distinction est manichéenne. Car c’est elle qui forge notre identité et introduit de la morale dans nos comportements individuels et collectifs.
Lutter contre l’oubli, c’est cultiver tous ensemble une volonté déterminée de mémoire. Mais une mémoire apaisée, réfléchie, constructive. Une mémoire à laquelle tous ceux qui le peuvent doivent travailler : sociologues, philosophes, intellectuels, politiques, et bien entendu, témoins. Une mémoire transmise par les historiens et les éducateurs (mais pas seulement eux) qui fonde notre action collective, qui permette l’exercice d’une action politique enrichie du passé et qui, de ce fait, soit porteuse d’un avenir stimulant et respectueux des hommes.
SR