geostrategies 2000

 Pourquoi adhérer ?
 Comment adhérer ?
 Conseil d'administration
 Bureau
 Nos activités depuis 1986
Défense européenne, Défense de l’Europe.

Sur les questions de stratégie et de défense, comme pour toutes les catégories de la pensée et de l’action, il est toujours fatigant et parfois dangereux de remonter le courant dominant.
Si les acquis de la défense européenne sont bons à prendre, ses fondements, ses limites et son avenir m’inquiètent, parce que je n’entrevois pas de volonté politique pour une remise en question profonde de la relation entre l’Europe et les Etats-Unis, condition nécessaire pour la mise sur pied d’une défense européenne commune.
Je vais donc revenir aux fondamentaux, en trois temps :
 - Qu’est-ce donc que l’Europe de la défense aujourd’hui ?
 - Comment s’accommoder d’une ambition aussi modeste ?
 - Comment aller vers une véritable défense de l’Europe ?

1. L’Europe de la défense aujourd’hui.

C’est la PESD, pas plus, pas moins, c’est à dire pour l’essentiel :
- les missions de Petersberg élargies lorsque l’Otan ne veut pas les assumer,
- des structures politico-militaires mais pas d’état-major opérationnel permanent,   équivalent du  SHAPE de l’Otan, le Royaume-Uni s’y opposant fermement.
- un corps dit de réaction rapide et son environnement maritime et aérien, qui n’est en réalité qu’une « liste à la Prévert » d’unités et de capacités.
Moins de 100 000 hommes au total, y compris les GT 1500, à rapprocher des quelques deux millions de soldats pour les vingt-sept pays de l’UE.
La PESD, c’est donc 5% environ du total des forces armées de l’UE.
Les grands discours sur la PESD ne devraient pas cacher l’extrême modestie de son ambition, qui résulte de la contradiction entre le rêve européen de quelques-uns et la volonté  de s’y opposer de plusieurs autres.
Le rêve : « La politique de sécurité et de défense induit la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union. Elle conduira à une défense commune, dès que le conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi ». (1)
La réalité : « la politique de l’Union… respecte les obligations découlant du Traité de l’Atlantique Nord pour certains Etats membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Otan… » (1)
Donc, si l’avenir reste théoriquement ouvert pour que l’Europe prenne en charge son propre destin, c’est à dire sa défense territoriale, la défense européenne, traduite par la PESD n’a rien à voir avec la défense de l’Europe, laquelle est de la responsabilité de l’Otan, pour ceux qui en sont membres, c’est à dire de son contributeur dominant.
Circonstance aggravante : dans le discours officiel, en France comme ailleurs en Europe, l’objectif de la défense commune est systématiquement gommé pour se satisfaire du dogme de la complémentarité parfaite de la PESD et de l’Otan, chaque organisation jouant sa partition, en évitant « toutes duplications inutiles et coûteuses ».
On peut ne pas partager ce dogme, et même le combattre.

(1) Traité modificatif – article 27


2. Complémentarité ?

Car il est dangereux dans la mesure où il conduit à repousser indéfiniment l’objectif de l’indépendance stratégique de l’Europe. L’Otan, en effet, donne bonne conscience aux gouvernements européens. Pourquoi augmenter l’effort de défense et même le maintenir puisqu’il apparaît suffisant pour conduire correctement les petites opérations relevant de la PESD et que la défense de l’Europe, c’est à dire le cœur de la défense, serait assumé par l’Otan.
Le résultat, pour faire court : moins de 1,4% du PIB consacré par l’ensemble des vingt-sept pays de l’UE à leur défense, contre plus de 3,8% pour les Etats-Unis, hors guerres en cours ; 400 dollars par habitant pour l’UE, 1200 dollars pour les Etats-Unis. L’écart, qui va en se creusant, est encore plus abyssal si l’on prend en compte l’énorme gabegie résultant de vingt-sept budgets juxtaposés.
Nous n’avons certes pas à calquer notre concept de défense sur celui des Etats-Unis mais on comprendra qu’un tel décrochage nous mette mécaniquement hors jeu sur la scène du monde et de sa gouvernance.
Je veux croire que beaucoup d’hommes d’Etat européens responsables savent qu’il ne peut plus être acceptable que 500 millions d’Européens dépendent à ce point, pour leur sécurité, de 200 millions de Nord-Américains.  Mais je crois aussi que beaucoup soulagent leur conscience politique dans l’affirmation d’une communauté historique de valeurs et d’intérêts qui nous garantirait le soutien total des Etats-Unis en tous temps et en toutes circonstances. Quel pari ! Appelons ici deux témoins parmi d’autres :
 - Robert Kagan, politologue américain néo-conservateur, ouvre ainsi son livre-phare (1)
« Il est temps de cesser de faire comme si Américains et Européens partageaient la même vision du monde, et même s’ils vivaient sur la même planète ».
  -  Patrice Higonnet, professeur d’histoire française à Harvard, grand ami de la France et de l’Europe, écrit dans Le Monde du 3 novembre 2004 :
«  Nous sommes en train de vivre un grand tournant dans l’histoire de ce vieux couple (Europe-EU)… un divorce aujourd’hui me paraît inévitable ».
On peut aimer l’Amérique, son peuple, voire son way of life et rester lucide ! Il ne s’agit pas de procès mais de constat. Nous devons savoir que cette « communauté fusionnelle » euro-atlantique est un leurre. Les valeurs comme les intérêts de part et d’autre de l’Atlantique divergeront toujours plus dans les vingt ans qui viennent, qu’il s’agisse de la question sociale, de l’économie et de la monnaie, de la survie et de la gouvernance de la planète, du rôle de la force dans le règlement de ses conflits, des relations avec la Russie, la Chine, le grand Moyen-Orient…
Une organisation militaire aussi intégrée que l’Otan fut la solution adaptée à la guerre froide, face à une menace commune colossale. Elle ne correspond plus aujourd’hui aux nouveaux rapports entre Européens et Américains.
C’est pourquoi l’Europe ne peut plus demander aux Etats-Unis un engagement majeur pour le long terme, qu’ils ne seraient pas en mesure d’honorer. L’Europe doit rompre avec la lâcheté qui la porte à attendre d’autrui ce qu’elle pourrait assumer elle-même, si elle en avait la volonté politique.
Le dogme de la complémentarité PESD / Otan est aujourd’hui le masque de l’irresponsabilité des pouvoirs européens.

(1) La puissance et la faiblesse –Plon 2003.



3 – La défense de l’Europe

Il ne s’agit pas de faire table rase de ce qui a été fait depuis le sommet d’Helsinki en 1999 mais d’affirmer que la PESD, ne doit pas détourner de l’objectif final d’une défense de l’Europe indépendante mais y conduire progressivement.
La France a le devoir de porter cette ambition, sans qu’il lui soit nécessaire d’entrer dans un nouveau cycle conflictuel avec les Etats-Unis, comme en 1966 avec de Gaulle ou en 2003 avec Chirac. On peut être ferme avec les Etats-Unis sans leur faire la guerre.
Une erreur grave serait de croire, comme la tentation s’installe, qu’un nouveau rapprochement de la France avec l’Otan, voire notre réintégration complète, nous mettrait en meilleure situation pour peser de l’intérieur sur les Etats-Unis et être plus crédible auprès de nos alliés européens.
Dans son récent rapport au président de la République, M.Védrine écrit qu’ « une réintégration de la France dans l’Otan lui donnerait sur les Etats-Unis une influence comparable à celle des autres alliés, c’est à dire quasi nulle… ». Je puis témoigner qu’à l’échelon opératif où je me trouvais comme commandant de la 1° armée, hors Otan, j’avais plus de voix et plus de poids dans les cénacles militaires de l’Otan que tous mes pairs « intégrés ».
Pour des raisons analogues, je réfute l’argument de M.Lellouche selon lequel nous aurions plus d’influence auprès de nos alliés européens en étant dans l’Otan, plutôt que de « faire de la résistance », hors Otan, à l’encontre du grand allié américain.
M.Lellouche devrait savoir que nos alliés européens ne sont pas très impatients de nous voir rentrer dans l’Otan. Non pas seulement parce qu’il faudrait qu’ils nous y fassent de la place mais surtout parce que beaucoup d’entre eux, à commencer par la RFA, se posent la question de la pérennité de l’Otan, depuis la campagne du Kosovo en 1999, jusqu’à celle d’Afghanistan aujourd’hui.
M.Schröder, alors chancelier de la RFA, déclarait le 12 février 2005 lors de la conférence sur la sécurité européenne à Munich que «  l’Otan n’est plus le lieu prioritaire où les partenaires transatlantiques consultent et coordonnent leurs visions stratégiques » . Quelle évolution pour le meilleur élève de l’Otan jusqu’en 1989 !
Clôturant la cérémonie d’anniversaire des traités de Rome en avril 2007, Mme Merkel déclarait que « l’un des objectifs principaux de la future Europe devrait être une armée commune ».
M.Verhofstadt, alors Premier ministre de Belgique, a publié en 2006 un petit livre « les Etats-Unis d’Europe » dans lequel il milite pour l’indépendance stratégique de l’Europe et pour une armée commune.
Je pourrais multiplier les exemples. La France commettrait un grave contre-sens en se rapprochant encore plus de l’Otan alors que nos alliés européens se posent de plus en plus de questions sur l’avenir d’une organisation très intégrée dont les Etats-Unis eux-mêmes se trouvent de plus en plus souvent encombrés, préférant souvent des coalitions « ad hoc » pour leurs engagements.
Le moment est venu  au contraire pour la France de porter des propositions structurées pour dépasser le concept a minima d’autonomie et avancer vers l’indépendance stratégique de l’Europe, avec toutes les conséquences qu’elle implique : la concrétisation de « la clause d’assistance mutuelle » (1) entre Européens, malgré toutes les restrictions qui accompagnent son énoncé, le lancement rapide de « coopérations structurées permanentes » (2) avec les plus allants des Européens et surtout pas avec le Royaume-Uni dont le seul objectif sera de les torpiller, la mise sur pied d’unités européennes moins évanescentes que le corps dit de réaction rapide et d’un niveau moins élémentaire que celui des GT 1500 et la création d’un siège de membre permanent de l’UE à l’ONU, la France rendant le sien … en attendant que le Royaume-Uni en fasse autant… un jour. Ce qui paraîtra totalement irréaliste à beaucoup serait en réalité une décision symbolique extraordinaire que prendraient aujourd’hui, j’en suis sûr, des Schuman, Monnet, Adenauer, Gasperi, PH Spaak…Ah ces temps bénis où l’Europe avait des visionnaires !

(1) Traité modificatif –article 27 –Paragraphe 7
(2) Traité modificatif –article 26 – Paragraphe 6

                                                                         x
                                                                   x          x

L’Europe n’a sûrement pas besoin de plus d’Otan. Elle a le devoir absolu d’être indépendante dans tous les domaines, y compris stratégique, afin de tenir enfin un rôle à sa mesure pour contribuer à l’avènement de « ce nouveau monde que l’homme doit créer s’il ne veut pas que son histoire s’arrête par une catastrophe » (1)
Cette grande ambition est évidemment compatible avec une Alliance transatlantique classique, totalement reconstruite, fondée sur les deux piliers évoqués par JF Kennedy et non pas un pilier Nord-américain et vingt-quatre colonnettes européennes.




(1) André Danzin – Revue Défense nationale – janvier 2008


Lettre n° 71 de janvier 2008

Qui sommes-nous ?

Photos des réunions précédentes


Composition de Géo 2000

 
Nos invités depuis 1986


Liens vers d'autres sites